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Les humeurs de Violette
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La servante écarlate

La servante écarlate

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Je n'avais pas vraiment envie de le lire (voire même pas du tout).

La science-fiction, ça n'a jamais été ma tasse de thé, et cette histoire de femmes vouées à la procréation ne me disait rien du tout.

Mais c'est tout l'intérêt d'un Club: vous amener à lire des romans que vous n'auriez pas lus autrement.

Et si je faisais un peu grise mine en l'achetant, j'ai remercié mes chères camarades dès la première page (et aujourd'hui encore davantage!).

 

Impossible de ne pas être happé par la force de l'écriture de Margaret Atwood, si précise et si nette, si pure, sans détours inutiles; une écriture d'une acuité redoutable, fine et sensible à la fois.

Mais sans aucune sensiblerie, jamais; même lorsque la Servante se remémore ses souvenirs, et que l'émotion affleure sous la précision du récit.

 

Cette Servante, au service d'un couple, nous narre donc son histoire.

Au présent d'abord, avec de brèves incursions dans le passé, un passé proche en premier lieu. Il faudra du temps pour que l'on découvre sa vie d'avant, ce qui s'est passé pour qu'elle en arrive là, pour que le monde en arrive là.

A travers son quotidien d'une lourdeur infinie, c'est une société nouvelle que l'on découvre. Une société figée dans un système de castes, une société archaïque où la lecture est interdite, où les images ont remplacé les mots, où un stylo peut vous conduire en prison ou à la potence, avant que votre dépouille soit exposée à la vue de tous.

 

Ce monde où tout est régenté par des codes soi-disant divins, où le principe même de plaisir est banni, où tout ce qui fait le sel de l'existence est interdit, fait froid dans le dos.

D'autant plus que les évocations de déchets radioactifs, de fuites toxiques échappées de centrales thermiques ou de zones de pêche sinistrées ne sont pas sans rappeler notre monde contemporain...

 

Mais même en se soumettant à ces interdits, la pulsion de vie est plus forte, et inextinguible.

Echanges de regards, dialogues furtifs, marché noir, chacun se débrouille comme il peut pour survivre. Et c'est la conscience même de cette vie en soi qui permet de l'y maintenir: "une chaise, du soleil, des fleurs: tout cela n'est pas à dédaigner. Je suis vivante, je vis, je respire, j'étends la main, ouverte, dans le soleil."

 

Pour moi, au-delà de la condamnation des fanatismes en tous genres, ce roman est une ode à la vie et au plaisir: la vision et la senteur des fleurs du jardin de Serena Joy, la sensation du soleil sur la peau, les échanges muets ou non, les étreintes indispensables (la peau devient rêche à force de ne plus être touchée)...

L'écriture de Margaret Atwood est pleine de cette sensualité vitale:

"Je suis allongée dans mon lit à une place la nuit, les yeux fermés, et ce nom flotte derrière mes paupières, légèrement hors d'atteinte, resplendissant dans le noir."

"Je suis couchée dans mon lit, encore tremblante. On peut mouiller le bord d'un verre, faire courir le doigt tout autour, et il émettra un son. C'est ainsi que je me sens: je suis ce son de verre. Je me sens comme le mot briser. J'ai envie d'être avec quelqu'un."

"Je confesse que j'y prends plaisir, à ce coup de langue qui fleure la mauvaise vie."

 

Il y aurait encore tant de choses à dire!

L'importance des mots, le réapprentissage d'une langue oubliée grâce à quelques parties de Scrabble (!) (qui m'ont fait penser au Joueur d'échecs de Zweig), la réappropriation de la coquetterie...

 

Mais j'ai envie de terminer par cette description des magazines de mode qui a vraiment touché la passionnée de mode que je suis:

"Ce qu'elles contenaient était une promesse. Elles parlaient de transformations; elles suggéraient une série infinie de possibilités qui se déployaient comme des reflets renvoyés par deux miroirs placés face à face, et se prolongeaient, un double après l'autre, jusqu'au point de fuite. Elles suggéraient une aventure après l'autre, une garde-robe après l'autre, une amélioration après l'autre, un homme après l'autre. Elles suggéraient le rajeunissement, la souffrance vaincue et transcendée, l'amour éternel. La véritable promesse qu'elles contenaient c'était l'immortalité."